jeudi 28 juin 2012

L'Inde selon Jean-Claude Carrière

On ne présente plus Jean-Claude Carrière. Scénariste prolifique, ami de Bunuel, Forman, Etaix, Wajda, iI avait presque 50 ans lorsqu'il a découvert l'Inde. Après l'adaptation du "Mahabharata" (grand poème épique qui rassemble les croyances et les mythes fondateurs de la culture indienne), mis en scène par Peter Brook au festival d'Avignon en 1985 (un étonnant spectacle de 9 heures qui fut un triomphe), Jean-Claude Carrière a mis tout son coeur et son talent pour rédiger "Le dictionnaire amoureux de l'Inde" paru en 2001 aux Editions Plon.

(Hampi)
Dans "Désordre"(Fragments d'une vie), paru en février 2012 aux Editions André Versaille, il témoigne de sa passion pour ce pays (il comptabilise près de 40 voyages) auquel il est tant attaché. Extraits:

"Ce sol est devenu, étrangement, le mien. Car j'ai l'impression d'avoir en Inde, une autre famille, principalement composée des personnages de l'épopée. Ces cousins, éloignés et turbulents, parfois même caractériels, vivent dans des temples, dans des grottes, quelquefois bien à l'abri dans des musées. Je vais  de temps en temps, encore aujourd'hui, leur demander de leur nouvelles et leur raconter comment va le monde..."

"Et je suis loin d'avoir tout dit. D'ailleurs il est impossible de tout dire, et plus particulièrement pour l'Inde, monde changeant, flexible, ondulant, ambigu, où chaque porte ouverte donne au moins sur deux autres portes, où les rideaux s'écartent sur d'autres rideaux, et ainsi de suite... J'oublie ma culture classique, mes raisonnements, mes syllogismes impeccables, je me heurte à des catégories de l'esprit qui ne sont pas les miennes, je m'irrite, je m'égare, je ris, je cesse d'être moi-même, et c'est à ce moment là que je me vois... L'Inde oblige à sortir de soi. En nous obligeant à  nous oublier, elle nous condamne à voir..."

(Hampi)
"Je sais aussi que, malgré la fameuse croissance économique, plus de six cent millions d'Indiens vivent encore dans de conditions qu'aucun européen n'accepterait. Cela vaut surtout pour les très nombreux villages où les revenus des paysans, traditionnellement très faibles, sont aujourd'hui soumis à des changements climatiques imprévus et à la rapacité des spéculateurs.
Que le prix de leur blé, ou de leur coton, soit soumis chaque année, aux sautes d'humeur de financiers sans visage, dissimulés, loin de là, derrière des ordinateurs impeccables, est un phénomène qu'ils ne peuvent pas comprendre. Ils se suicident, chaque année, par milliers... Je ne sais que penser..."